Love Point [Johannes]

Ploc Ploc Ploc … c’est le bruit de la pluie sur un parapluie ouvert. En ce moment il pleuvait des cordes sur Harper mais cela n’altérait en rien l’humeur de notre petite rêveuse aux mèches blondes. Bien qu’elle soit à l’abri de l’eau, elle presse le pas jusqu’à l’entrée et se faufile entre les deux lourdes portes. On est mieux au chaud. Elle secoua le parapluie et un peu ses cheveux pour se donner l’illusion d’être complètement sèche. C’est une journée tranquille qui commence. Une balle de tennis dans la main, Liliany revient du gymnase. Ce qui l’intéresse en ce moment c’est le club de Tennis. Et après y avoir pensé toute la nuit, ce matin elle s’y est inscrite. Cette décision a été prise très hâtivement, en sachant également qu’elle n’était absolument pas douée pour ce sport. Mais pourquoi donc risquer de se ridiculiser devant un parterre de petits tennismen en short blanc ? En se posant cette question, Liliany se mord la lèvre inférieure. Elle traverse le hall à pas lent, l’air songeur puis secoua la tête pour chasser ses doutes. Ce qui est fait est fait, la meilleure chose qui lui restait alors à c’est de manger pour oublier.

Elle se dirigea gaiement vers la cafétéria. Pas spécialement affamée mais enthousiaste à l’idée de d’entamer l’après-midi, Liliany, plateau à l’horizontal entre ses mains fait quelques pas au centre de la cafétéria à la recherche d’une place libre où elle pourra festoyer d’un muffin au chocolat, d’un jus d’orange et d’un demi pamplemousse. Mais alors que son regard bleu scrute la pièce il tombe inévitablement sur Lui. Lui, qui ? Lui, c’est Johannes Andersen. Un grand brun à la mèche rebelle et aux regard captivant. Il parlait souvent avec distinction et n’avait vraiment rien de vulgaire. Rien avoir avec les Bad boy qui peuplaient Harper ces derniers temps. Johannes avait tout du prince charmant. C’était un Rodrigue, un Lancelot, un Roméo à part entière. Et Liliany se savait secrètement sa Juliette. Ils étaient liés et rien ne pouvait briser ce lasso qui les tenaient enlacé pour toujours. Courageuse, mais surtout spontanée, Liliany se dirigea vers lui. Elle avait déjà eut l’occasion d’échanger quelques mots avec lui. Depuis, elle n’avait de cesse de penser à lui et de lui envoyer des mails. Elle se débrouillait toujours pour glisser dans ses poches, sa trousse ou entre les pages d’un de ses manuels scolaire, des petits mots griffonnés au stylo rose bonbon ou au noir charbon selon ses humeurs.

Elle s’installa sans même attendre qu’il ne l’y invite. Quand on aime, on ose. Et elle engagea très vite la conversation. Liliany c’était aussi une petite demoiselle assez bavarde et d’une franchise enfantine. Elle semblait à l’aise avec n’importe qui comme si n’importe qui pouvait être son ami. Mais plus qu’un ami, Johannes était son preux chevalier ainsi elle lui tint à peu près ce langage :

Bonjour Johannes. Je peux partager mon déjeuner avec toi ? Je voudrais aussi te parler. Tu as reçu mon mot ce matin ? Je l’ai glissé dans la poche de ton manteau mais je ne suis pas certaine que tu l’ais lu. Enfin, ce n’était pas très important. Au milieu des ratures, il disait surtout que je voulais te parler.

Liliany souriait tranquillement de ce sourire qui animait souvent son visage. Elle était souvent de bonne humeur ou s’en donnait souvent l’air mais avec Johannes, ses expressions étaient toujours très sincères. Elle posa son sac à ses pieds et se mit à l’aise. Ses mains sur la table elle croisa les jambes mais en exécutant ce geste elle cogna celle de Johannes par inadvertance. Immédiatement, elle parut désolée. Elle plaqua sa main devant de sa bouche et s’excusa rapidement, les joues rosies par une petite honte d’avoir effleurer aussi grossièrement le garçon en face d’elle.

Chose promise, chose due : sitôt rentré de cet éprouvant voyage à Liverpool, Johannes s’était rendu à Liverpool, le lundi matin à la première heure, à savoir après le cours de littérature avancée, parce que ce dernier commençait réellement à la première heure. Bref.
Johannes Andersen s’était rendu à la bibliothèque et s’était mis à la recherche d’un manuel pouvant initier un néophyte tel que lui à l’indien ancien. Bien sûr, comme il fallait s’y attendre d’un endroit bridant le savoir et l’envie d’apprendre que pouvaient ressentir les élèves, aucun livre à Harper ne permettait d’apprendre le moindre mot indien, et le jeune Lord songea durant quelques instants qu’il ne pourrait pas vivre une seconde de plus dans cet endroit. Ensuite, il se souvint que dans moins d’une semaine, il serait de retour au manoir de sa tante, pour les congés de la nouvelle année, et cette idée, malgré les efforts qu’il mettait à trouver des points positifs à cela (il reverrait son cher piano-forte), ne parvenait nullement à le réjouir, bien au contraire. Songeant qu’il devait donc profiter pleinement de ces derniers jours, après lesquels il ne verrait plus Cicely, sa bien aimée avec laquelle il entretenait une relation des plus ambiguës, il avait renoncé à écrire une lettre de protestation au personnel de Harper (dont un double aurait été envoyé au principal), et avait à la place emprunté un livre sur les Salbasutras indiens, qu’il potassait donc depuis deux jours.

L’humeur un peu morose, la matinée qu’il avait eue en ce mardi de décembre avait été particulièrement longue, car les élèves avaient étés pris d’une envie stupide de faire des jeux aussi ridicule que le pendu au lieu du traditionnel cours de mathématiques, sous prétexte qu’il serait le dernier de l’année. En attendant, lui, s’était beaucoup plus ennuyé qu’à l’accoutumée, et, de plus, n’avait pas revu Cicely.
Se rendant à la cafétéria, repassant intérieurement les formules mathématiques qu’il avait apprises dans son fameux livre emprunté la veille, il posa sur son plateau, après avoir échangé quelques mots avec le personnel de service qui semblait l’apprécier particulièrement : une portion de poisson qui n’avait rien d’alléchante, mais qui pourtant constituait une source de protéines suffisantes, à coté desquels gisaient des haricots d’un vert douteux, et enfin, un morceau de Cheddar, pour les produits laitiers.
Il choisit une table, affichant une expression guère plus joyeuse que le contenu de son plateau, et entama son repas en récitant la formule associée à chacune des formes se dressant sur son plateau, histoire de ne pas perdre la main.

Quelques minutes plus tard, alors qu’il en était à la circulature du triangle, un plateau vint se poser en face du sien. Toujours aussi naïf qu’à ses débuts, il songea stupidement que Cicely avait eue envie de déjeuner avec lui. Il ne s’agissait guère de la brunette, comme vous l’aurez deviné, mais… D’une dénommée Liliany.

Notons que, lorsqu’il avait fait sa connaissance, Johannes n’avait pas songé que cette fille aurait un comportement aussi étrange. Le regard assez peu expressif, il regarda la jeune femme quitter sa veste, et prendre place en face de lui. Beaucoup trop poli pour déguerpir immédiatement, bien que l’envie ne lui manque pas, écouta son laïus, songeant qu’il avait bel et bien reçu la missive, mais qu’il n’avait à vrai dire pas prit la peine de la lire.

Non qu’il ne soit à priori si imbu de lui-même qu’il ne s’intéresse pas à ce qu’autrui aurait bien eu à lui dire. Bien sûr, il aurait pu même penser que Cicely avait cherché à communiquer par le biais d’un morceau de papier, si ledit moyen de communication n’avait pas été employé par Mademoiselle Sturgess, de très, très nombreuses fois depuis qu’elle s’était mise en tête qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Même lui avait failli en perdre son sang froid, et c‘était même, disons le, senti harcelé.
Mais il y avait cela d’étrange chez la blonde qui lui faisait face, qu’elle ne paraissait jamais se sentir coupable de quoi que ce soit, si bien qu’il était arrivé au jeune homme de se demander si ce comportement était normal, voire même coutume chez les élèves du pays de Galles. Après quelques recherches, il s’était avéré que non.

Johannes, habituellement, ne refusais jamais de se lier d’amitié avec une personne qui cherchait sa compagnie. Il aurait pu même faire l’effort de chercher à connaître la jeune blonde, si cette dernière n’avait pas poussé ses tentatives d’approche à l’extrême, au point qu’Andersen se sente littéralement traqué. Lorsqu’il la voyait dans un couloir, il changeait de direction, et en cours, il s’arrangeait pour être le plus loin possible d’elle. Mais elle parvenait toujours à glisser des messages dans ses affaires, et sa boîte de réception était surchargée de mails venant tous de la même personne.

Hélas pour lui, il avait été bien élevé, et, malgré l’envie de lui intimer de le laisser tranquille, il se contenta de hocher la tête (il ne pouvait pas lui refuser de déjeuner en sa compagnie), et même de lui dire, en voyant son air désolé :

« Ça n’est rien »

C’était étrange, mais ayant passé son enfance à être repoussé par la plupart des personnes de son age qui passaient sur son chemin, il était incapable d’en faire de même avec autrui, même si il s’agissait d’une personne aussi envahissante que Liliany Sturgess. Peut-être aussi songeait-il naïvement (et ce, depuis un moment), qu’elle finirait par se lasser, comme la plupart des personnes.

Le cœur affolé par une sensation qui lui était pourtant familière, Liliany ne parvenait plus à quitter Johannes des yeux. Elle le détaillait avec précaution comme une Pénélope triste mais pleine de courage face à son Ulysse, son bien aimé avant le long périple de ce dernier. Elle suivait les traits de son visage, son menton, sa bouche, remontait son regard sur l’arrête de son nez, glissait le long de ses sourcils noirs et plongeait dans son regard. Johannes était beau et même dans ses défauts il y avait une beauté indéniable aux yeux de l’écossaise romantique. Tout son être réclamait ce petit prince froid et distant malgré les sourires enfantins de l’amoureuse. Qu’est-ce qui clochait chez lui ? Plus Liliany ne le comprenait pas et plus elle se sentait irrémédiablement attirer par lui. Sa curiosité allait grandissante et sa croissance semblait infinie. Elle aurait voulu un morceau de papier et un stylo pour griffonner exactement ce qu’elle ressentait à ce moment précis. Elle et Johannes. La cafétéria s’était changé en jardin fleuris, les oiseaux chantaient juste pour eux. Les élèves d’Harper étaient des angelots qui jouaient de la harpe et sur le plateau trônait des mets, délicieuses offrandes de quelques dieux grecs en émois face à leur idylle amoureuse. Leur uniforme n’étaient plus. Ils portaient des tuniques blanches immaculées empruntées aux muses rieuses et se contentaient de vivre. Juste vivre, ensemble. Le monde n’existait plus. C’était un paradis créée pour y faire grandir leur sentiment amoureux à l’abris de la cruauté des hommes. Mais Liliany retomba vite dans la triste réalité, qui ne l’était, tout compte fait, pas tant que ça. Un doux brouhaha s’élevait autour d’eux et c’est comme pour se confier qu’elle se pencha légèrement au dessus de son plateau pour lui échanger ses mots.

Après ses excuses Liliany aurait préféré garder le silence. D’ailleurs c’est ce qu’elle fit pendant une minute ou deux qui parurent durer une éternité. Ça n’est rien, avait dit Johannes ce qui eut pour effet de rassurer un peu la petit blonde. Habituée aux claques faciles et à être rejetée, elle trouvait le moindre indice de gentillesse gargantuesque. Johannes était un ange, il était ce qui lui était arrivé de mieux à Harper depuis son arrivée. Liliany le savait amoureux d’elle et cette certitude avait pour conséquence une confiance débordante en Johannes. Mais qu’attendait-il pour se déclarer ? L’écossaise faisait tout son possible pour lui faciliter la tache. Les petits mots à répétition, les e-mails et les tête-à-tête inattendus qu’elle s’arrangeait toujours pour mettre en place, comme aujourd’hui. Elle eut une petite moue dubitative. Non, elle ne le comprenait pas.
Le plateau de Liliany n’était pas vraiment garnit. Elle ne mangeait pas énormément mais se gavait de sucreries. Elle s’attaqua donc au muffin en le découpant soigneusement en morceau.

- Je voulais te demander si tu pouvais m’aider. Je me suis inscrite au club de tennis mais je ne sais pas y jouer. Je ne voudrais pas qu’on s’en rende compte, tu comprends ? Et comme je sais que tu es toi-même inscrit à ce club, je me disais que tu pouvais peut-être m’aider. Je ne suis pas très sportive, c'est vrai mais j’apprends vite. Sauf si évidemment tu es trop préoccupé, je demanderais à Kenzie ...

Pourquoi s’inscrire si on ne sait pas jouer ? La raison devait rester un mystère pour Johannes tout en lui mettant la puce à l’oreille. Ces entrainements était une belle occasion de se retrouver seule avec lui. Ainsi il pourrait enfin déclarer sa flamme. Liliany eut un sourire satisfait, son idée était romantiquement intelligente, si toutefois Johannes acceptait. Après quelques bouchées de Muffin au chocolat et avoir vidé sa bouche avant de reprendre elle lui posa une nouvelle question sur un ton tout à fait différent. Elle avait l’air inquiète moins légère également, plus grave, comme si elle s’apprêtait à annoncer quelque chose de très sérieux.

- Tu trouveras peut-être ça stupide mais je suis allée sur le site de Duty. Il disait que tu avais des ennuis avec Jeckill depuis le voyage à Liverpool. C’est vrai ? Tu sais si tu as besoin d’aide, je suis là.

Elle était sincère, histoire d'amour mise à part, elle était prête à tout pour venir en aide à n’importe qui et Johannes faisait partie de ses priorités, même si cela signifiait se frotter à la terrible Cicely qui faisait parler d’elle en beauté tyrannique.

Dans l’assiette de Johannes, protéines et légumes verts commençaient à se mélanger, la « sauce » du colin composée exclusivement d’eau et de sel, commençant à conquérir des terres voisines, et s’aventurer sur le territoire des haricots verts, lesquels combattaient comme ils pouvaient en envoyant leurs troupes persillées flotter sur l’assaillant. Le résultat n’était pas follement ragoûtant, et la sauce aqueuse aurait sans doute gagnée si il n’y avait eu l’aide du territoire se trouvant au-delà de la surface blanche de porcelaine, qui avait envoyé une arme constituée en majorité de levure, farine et sel, lequel était venu aspirer l’eau du poisson avant de s’en aller gorgée de liquide, se reposer dans un coin de l’assiette :
Andersen n’avait jamais beaucoup aimé le pain, qui était beaucoup trop riche en céréales, et gonflait l’estomac, prenant la place d’autres aliments beaucoup plus riches en vitamines, et dont le goût était certes moins agréable, mais qui au final donnait de l’énergie pour toute la journée. Comme vous l’aurez compris, Johannes était de ceux qui mangeaient pour vivre, et avait été éduqué de manière à ne jamais être tenté de se nourrir pour une toute autre raison que naturelle. Attrapant sa fourchette, il la planta avec courage dans le morceau de poisson laissé de coté, ayant convenu avec lui-même d’achever ce repas le plus rapidement possible. Il avala ledit morceau avec un air aussi impassible que si il avait été en train de relire ses notes sur le Théorème Central Limite (il se préparait pour Oxford, vous savez), et son regard se posa sur le contenu du plateau de sa vis-à-vis, lequel était autrement différent que le sien.
Sucres, glucides, vitamine C. On pouvait rarement faire moins équilibré à Harper.

« Comptes-tu t’entraîner cet après-midi? Il te faudra autre chose dans l’estomac que les quelques sucres qui constituent ton déjeuner. As-tu déjà entendu parler de l‘expression ‘Repas équilibré?’»

N’allez pas dire que Johannes se comportait de manière désagréable, ou même qu’il tentait de faire la conversation. Il constatait simplement qu’il n’y avait aucune chance pour que Liliany soit efficace sur un court de tennis si elle se nourrissait de cette manière, et plus elle était en forme, moins il n’aurait de chances de se sacrifier pour lui montrer comment manier une raquette avec dextérité. Comme pour éradiquer ne serait-ce que l’hypothèse qu’il ne doive accepter, il prit le pain à peine entamé, ainsi que le morceau de Cheddar sous cellophane qui se trouvaient dans son plateau et les posa devant la jeune blonde.

« D‘ailleurs, je me vois désolé de pas pouvoir faire quoi que ce soit pour toi aujourd’hui. J’ai classes toute l’après-midi »

Ce qui n’était absolument pas faux. Il fallait savoir que Johannes ne mentait jamais, le petit Lord trouvant en effet que le mensonge était quelque chose de tout à fait avilissant pour l’être humain génial qu’il était. Pourquoi mentir, d‘ailleurs, alors qu‘il suffisait de peser ses mots à la perfection pour communiquer ce que l‘on avait envie d‘échanger avec autrui? Reportant son attention à son plateau, il avala une nouvelle bouchée de haricots, qu’il manqua de recracher en entendant la dernière affirmation de Liliany.

« Vraiment? Hum… quel genre de problèmes? »

Bien sûr, comme la plupart des élèves de Harper, Johannes se rendait parfois sur le site Internet dudit Duty. La dernière fois datant tout de même d’un certain moment, car il avait tout de même autre chose à faire que de passer son temps sur un site n’ayant aucun rapport avec l’éducation, il n’avait aucune idée de quoi Liliany voulait parler.

L’assiette de Liliany. Comme ses héros imaginés, elle tenait à croire que le cœur était le seul organe à nourrir soigneusement. Le reste n’était que besoin primaire et instinctif. Liliany ne mangeait que quand elle avait faim. Peu importe si c’était mal, elle se remplissait la bouche et l’estomac sans se poser de question. Son cœur lui était plus complexe. Elle le nourrissait de Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, de rose, de bleu, de lumière pétillantes, de bulle à rêve, d’espoir, d’illusions, de créations bonnes ou mauvaises. Elle n’était pas concrète ni pragmatique, elle était Alice à Wonderland. Et Wonderland c’était ici, dans cette cafétéria, c’était Harper, c’était l’Angleterre, c’était ce monde. C’était les gens, c’était Johannes. Son lapin blanc à l’énorme montre, lui échappant inévitablement. Mais même a bout de souffle, elle trouvait encore la bouffé d’oxygène nécessaire pour se murmurer qu’ils étaient fait l’un et l’autre pour se croire l’un pour l’autre. Le muffin n’avait rien a voir avec de la grande pâtisserie. On était loin des chef d’œuvre de La Durée, mais Liliany ne semblait pas faire la difficile. Elle laissait fondre le chocolat dans sa bouche avant de frotter sa langue contre son palais exercé à n’être sensible qu’au sucre. Un repas équilibré. Liliany jeta un œil à son plateau. Une vue avec du recul et de la réflexion, puis celui de Johannes. C’était ça un repas équilibré ? Des aliments pataugeant tristement dans leur sauce ? Elle se contenta d’hausser les épaules avec un sourire, comme une enfant qui connaît un secret mais se refuse de le dire. Un morceau de fromage et un crouton de pain. Liliany se figea. Non, pas son corps, elle ne bougeait déjà plus beaucoup depuis ses maladresses, mais son visage. Les yeux écarquillés, les sourcils faiblement froncés, la bouche à peine entrouverte. C’était l’étonnement. Quel gout aurait le chocolat marié au Cheddar ? Quel gout aurait le pain, enfourné dans une gorgée de jus d’orange. Le gout de l’orange. Réellement ?
« D‘ailleurs, je me vois désolé de pas pouvoir faire quoi que ce soit pour toi aujourd’hui.


Ah …

Répondit-elle incapable de plus de mot. Elle n’était pas vexée, ni même triste, elle avait juste l’impression d’être un château de carte et Johannes dans sa franchise enduite de politesse venait de souffler sur elle à plein poumons. Mais elle ne lui en voulait pas, elle était juste déçue. Il avait classe et la classe de lui dire avec classe. Liliany prit une inspiration qu’elle retint prisonnière comme si elle s’apprêtait à plonger sous une eau froide et profonde. Il lui en fallait plus pour se décourager et de toute évidence elle ne prenait pas ce refus comme un échec. Elle esquissa un petit sourire avant de prendre quelque gorgée de jus de fruit. Puis vint le sujet de Duty. Ce soi-disant sous entendu qu’elle venait de partager avec le petit Lord visiblement au courant de rien à son sujet et de cette fille. Elle le fixa un moment comme si elle le soupçonnait d’en savoir plus qu’il ne voulait y paraître avec un sourire amusé. Elle quitta Johannes des yeux et hocha la tête, secouant sa frange blonde au dessus de ses yeux bleus. Si Johannes devait avoir sa description elle serait sans le moindre doute composée du mot Mystère. Et le côté Sherlock Holmes de Liliany semblait baisser les bras face à cette énigme au regard doux mais perçant.
Ah misère que de t’aimer, mon frêle amour qui vas respirant comme on expire un jour !
Pensa t-elle, les yeux dans le vague avant de les planter à nouveau dans ceux de Johannes. Elle haussa les épaules avec détachement. Si Johannes ne voyait pas de quoi il s’agissait alors c’est que l’affaire n’était pas aussi grave que l’esprit fougueux de Liliany l’avait imaginé. Si Johannes allait bien, alors elle aussi.

Ce n’est rien. J’ai du m’inquiéter pour rien, encore une fois. Duty parlait de puce électronique et me donnait l’impression que Cicely te manipulait. Tu me connais j’ai tendance à tout extrapoler. C’est que je n’aime pas voir ton nom dans les articles de ce Duty. Il passe son temps à rire de tout le monde, je ne devrais même pas faire attention à ce qu’il dit mais dans un sens il attise ma curiosité et c’est plus fort que moi. Je me demande qui ça pourrait être… La femme rousse et ronde qui s’occupe des plats au self, triste que personne ne fasse attention au nouveau rouge à lèvre prune qu’elle met depuis une semaine ? Le type un peu barjot du club d’échec qui aurait une vengeance à faire suite aux agressions dont il est victime entre deux cours ? Le sportif, pour prouver aux autres qu’il est loin d’être le crétin qui pousse bêtement le ballon. Dans tous les cas, ça doit être quelqu’un qui souffre.

Elle s’était un peu éloignée du sujet principal et posait son regard sur chaque suspects. Etait-ce volontaire ou inconscient ? Liliany parlait en générale comme elle pensait. Si bien que parfois, on se demandait si elle se parlait à elle même ou un interlocuteur précis. Dans ce cas précis, elle s’adressait tout autant à Johannes qu’à elle même. Duty intriguait vraiment la jeune fille. Elle avait déjà eut l’horreur de trouver un mail de lui dans sa boite de réception et d’après les bruits de couloir elle pouvait aisément évaluer son taux de méchanceté. Elle reporta son attention sur Johannes. Une première qu’elle l’ignore ainsi pendant quelques minutes pour se laisser distraire par le reste. Par politesse elle prit le fromage et le pain et les glissa dans son sac.

En tout cas si tu as des ennuis, saches que tu peux m’en parler. Je suis toujours disponible pour les gens que j’aime.

Elle s’attaqua au pamplemousse en prenant soin de ne pas asperger Johannes avec le jus acide de l’agrume tout en continuant à parler.

Surtout qu’on rencontre de drôle de personne à Harper en ce moment. Un type à jeté mes livres par terre dernièrement, alors que je les tenais en main. Au début je pensais qu’il n’avait pas fait exprès mais une fois que je les ai ramassé tandis qu’il se tenait planté fièrement devant moi, il a recommencé et s’est mit à rire… comme dans mon ancien lycée. Sauf que cette fois on ne ma pas enfermé dans le placard, dieu merci. Ca t’est déjà arrivé ce genre de rencontre? C’est bizarre, tu ne trouve pas ? Pourquoi faire ça, dans quel but ?

Elle parlait avec légèreté et réelle innocence, comme ce genre d’incident faisait partie de la vie, de sa vie et que c’était devenu une habitude. Elle recouvrit la pulpe rose du pamplemousse d’une épaisse couche de sucre et approcha son visage du fruit. Elle eut une exclamation d’émerveillement en voyant le sucre absorber le jus du fruit à une vitesse étonnante.

Waaah…

La jeune femme paraissait particulièrement étonnée de voir atterrir les « mets » sur son plateau, affichant une telle expression que Johannes songea qu’il avait peut-être fait une bourde, et que, peut-être, Liliany était allergique aux produits laitiers, ce dont elle souffrait beaucoup, et prenait donc son geste pour un affront. Chose qui pouvait d’ailleurs être fort possible, la jeune femme agissant de manière parfois si étrange qu’on pourrait sûrement l’expliquer par une carence alimentaire, telle que le lactose.
Ou pas. Mais de toutes manières là n’était pas la question : il avait une assiette à finir, et ça n’était pas en discutant que son contenu allait disparaître. Aussi, il continua son œuvre de découpage, empilage sur la fourchette et avalage avec le même soin méthodique que tout ce qu’il faisait, évitant au possible le moindre geste pouvant obtenir une réaction étrange chez la jeune blonde. En effet, depuis quelques temps, il s’était rendu compte qu’elle paraissait tout prendre différemment du reste de la population, comme si elle vivait dans un monde à part.

Il eut le malheur de reposer les yeux sur elle au moment où elle afficha une expression des plus désappointées. Grands dieux, cela était totalement ridicule, elle pouvait très bien demander à n’importe qui de lui enseigner le tennis, d’autant que plus ça n’étaient pas les membres qui manquaient dans Harper. Mais, néanmoins, tendit qu’il avalait sa dernière bouchée de colin, Johannes se souvint que la jeune femme avait réellement de sérieux problèmes en ce qui concernait ledit sport. A se demander même pourquoi elle s’était inscrite, alors qu’elle arrivait à peine à tenir sa raquette. Il soupira en essuyant les coins de sa bouche avec sa serviette en papier, observant toujours Liliany qui aurait pu inspirer Antigone à Sophocle tant sa maîtrise de l’air apitoyé était parfaite. Si bien, d’ailleurs, qu’Andersen en vint à se sentir coupable, d’ailleurs.

Il garda néanmoins une expression des plus neutres, laquelle changea rapidement en air songeur lorsqu’il entendit la suite. Il répondit alors d’un ton plus sec :

« Cicely n’aurait jamais fait une chose pareille, et, de toutes manières, je trouve ridicule le fait que tout le monde rapporte les paroles de ce Duty alors qu’il se cache derrière un écran d’ordinateur »

Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi tout le monde faisait des gorges chaudes de ce garçon avait à dire, alors qu’au final, il ne faisait que se vanter et inventer des mensonges ridicules à propos des élèves.
Il reprit d’un ton plus calme, peut-être apaisé par les différentes versions de Duty que la jeune blonde avait en tête, et eut même un léger sourire en coin en la voyant glisser protides et sucres lents dans son sac.

« J’ose espérer néanmoins que personne ne mettra la main sur cet individu, car il n’aura alors que ses yeux pour pleurer, tant les élèves et le personnel s’acharneront sur lui » Il ne tiqua pas en entendant le « que j’aime » de Liliany, et se contenta d’un hochement de tête en guise de réponse.
Il sourit en entendant le cour récit de Liliany. Oui, c’était vrai que certains élèves agissaient de manière étrange à Harper. Johannes, qui n’avait jamais été scolarisé avant cette année, avait pu faire l’expérience de ce genre de comportement qu’avaient les élèves. Si il avait au début été victime de quelques brimades, cela avait rapidement cessé lorsqu’il était devenu ami avec Eliott, lequel refusait de lui adresser « normalement » la parole.

« Jalousie ou envie, sans doute… Certaines personnes ont une manière de penser tout à fait étrange…» Et ce genre de comportement rappelait à Andersen celui de ses deux cousins, avec lesquels il avait grandit. Inutile de dire que niveau bizutage, il avait été à la bonne école.

« Tu sais… » Il allait embrayer sur l’explication de ce phénomène naturel qu’était celui de l’absorption du glucose par le milieu acide du fruit, mais, préféra se terre, songeant que, sans doute, Liliany se ficherait totalement de l’origine scientifique de cette manifestation chimique, puisqu’elle paraissait visiblement être dans cet étrange état d’esprit où l’on croyait aux créatures féeriques et aux chaudrons posés sous les arc-en-ciel. Il se racla la gorge, et dit à la place :

« … Peut-être que si tu faisais un effort et que tu avalais au moins une barre de céréales, je pourrais t’enseigner quelques techniques après dîner? »

Oh, grand diable, Johannes Andersen serait-il gentil?

Elle l’écoutait sans faire semblant d’une oreille attentive comme si chaque mot qu’il prononçait avait une importance capitale. C’est donc très clairement qu’elle entendit le refus du jeune garçon de l’aider. Elle baissa aussitôt son regard vers son plateau aux nombreuses calories et se força à esquisser un sourire qui pouvait signifier : Bon bah tant pis, je vais m’entrainer seule comme une âme en peine. Et si je ne progresse pas et que je me fais virer du club, je ne t’en voudrais pas de m’avoir abandonner comme une vieille chaussette. Bouh pauvre petite Liliany. Relève la tête, ce n’est pas comme ça que tu attirera son regard. Vint ensuite le sujet : Duty qui était dans la bouche de tous les élèves à Harper et de cette Cicely qui était elle aussi, une petite vedette du pensionnat. Johannes décrivait Cicely comme étant une fille incapable de méchancetés. Pourtant si on écoutait les bruits de couloirs elle était froide et hautaine. Une vraie reine des glaces qui murmura la nuit : Miroir mon beau miroir, dis moi qui est la plus belle ? Mais pour Liliany, l’avis de Johannes primait sur tous les On-dit de la terre. Pourtant cette fois elle n’était pas d’accord avec lui. Duty avait imposé une importance aux autres élèves d’Harper à propos de ce qu’il raconter à leur sujet. C’est sur un ton calme et, comme à son habitude, sans la moindre once d’agressivité qu’elle lui répondit.

C’est peut-être stupide de rapporter les paroles de Duty mais il parle de nous et il a parfois raison. Je crois qu’il voit vraiment tout et qu’il sait vraiment tout. Maintenant reste à savoir comment et pourquoi il s’acharne autant. Il a peut-être besoin d’attention, qu’on l’aide ou j’en sais rien…même s’il n’agit de façon correct, je suis persuadé que dernière tous ses coups bas, il y a un appel à l’aide.

Liliany ou la gentillesse aux frontières de la connerie. Cette fille avait le chic pour trouver du bon dans chacun de nous, même Duty. Proposez lui une pomme empoisonnée et c’est sans la moindre méfiance qu’elle croquera dedans en vous remerciant. Le ton sec que Johannes avait utilisé pour parler de Duty montrait bien qu’il n’avait pas la même indulgence que sa voisine d’en face pour l’internaute mystérieux. Liliany lui adressa un sourire, Johannes n’avait rien de violent et même ces propos sur une supposée vengeance à l’égard de Duty sortait de sa bouche comme un poème. Elle l’écouta ensuite parler sur le comportement étrange de certaine personne. Liliany avait elle aussi connu l’enfer des bizutages mais c’était comme si elle l’acceptait parfaitement et que d’une certaine façon, c’était normal. Elle n’avait jamais perdu son sourire légendaire et elle voyait toujours la vie en rose bonbon et le meilleur chez les gens. Finalement elle était peut-être plus forte qu’elle ne laissait le croire.
Les yeux sur son plateau, elle terminait son muffin au chocolat quand Johannes l’interpella d’un Tu sais énigmatique. Elle releva vers lui ses prunelles bleutées et l’interrogea du regard. Allait-il enfin se déclarer ? Ce n’était peut-être pas le bon moment. Liliany aurait naïvement cru à un champs de jonquille comme dans Big Fish ou un bal costumé comme dans Roméo et Juliette. Mais elle lui excusa cette faute de gout. C’était Johannes et on pouvait lui accorder tous les défauts du monde puisqu’il les sublimait. Liliany sentit son cœur s’accélérer. Etrangement, elle avait peur mais s’impatientait qu’il prononce enfin ces quelque mots qui les uniraient pour toujours ou presque.
Fausse joie Sturgess, Johannes ne se déclara pas cette fois. Mais ce qu’il propose est tout aussi bien. Inconsciemment Liliany sourit de ces sourires de gamine le jour de noël.

C’est vrai, Johannes ?

Demande t’elle des étoiles dans les yeux. Elle se lève et s’approche de lui, enroulant ses bras autour de son cou pour le serrez, jusqu'à frôler l’apoplexie, contre elle. Si son cœur s’accélérait il y a quelques secondes, il battait maintenant à ton rompre sous l’excitation. Elle se projetait déjà à l’heure de l’entrainement. Juste elle et Johannes, c’était un rêve. Elle lâcha sa victime et prit son sac. Il fallait qu’elle se trouve une barre de céréale et qu’elle aille raconter ça sa confidente Kenzie.

Alors on se dit 20h30 au gymnase.

Elle quitta la table avec son plateau et la cafétéria comme une fusée avec la gaieté et l’anxiété d’une jeune fille qui vient de décrocher le premier rencard de sa vie.

Le simple fait de parler de Cicely avait replongé Johannes dans la même torpeur qui l’envahissait à chaque fois que son nom était invoqué. Intérieurement, bien entendu, mais il était tout de même impossible de ne pas remarquer son air devenu plus grave, peut-être déjà ailleurs. Sans doute, par certains coté, avait-il un caractère similaire à celui de la jeune Sturgess, chose qu’il n’admettrait bien entendu jamais, mais qui, après réflexion, coulait de source : certes, il ne glissait pas des petits mots dans les poches de la jeune brunette, ni même la harcelait de poèmes et de courriers électroniques mais cela ne l’empêchait tout de même pas de lui déclarer sa flamme à peu près à chaque fois qu’il croisait son chemin. Ce fut en faisant cette étrange constatation qu’il se surpris à proposer à Liliany de l’entraîner après les cours. D’ailleurs, a peine ces mots ayant dépassés la barrière de ses lèvres, qu’il se surpris à déjà les regretter. Était-ce cela que ressentait Cicely à son envers, une terrible dose d’agacement mêlée d’indulgence? Son cœur se serra, et il n’eut plus faim. Il n’écouta pas non plus ce que disais la jeune blonde sur Duty, il en avait eu assez de toutes manières. Que cet individu soit un cuisinier avide de reconnaissance ou un scientifique négligé ne lui permettait pas pour autant de s’immiscer dans la vie des autres aussi gratuitement. Peut-être était-il le seul à penser ainsi, mais toujours était-il qu’il n’aimait pas ce que ce Duty avait à dire, en particulier sur Cicely, et qu’il n’y pouvais rien.

Il n’était pas du genre à se rétracter. De toutes manières donner un cours de tennis n’avait rien d’engageant, et il avait dû faire bien pire depuis qu’il était arrivé à Harper, comme faire de la peinture avec les doigts. Oui, bon, pour certains, cela n’était pas la chose la plus impitoyable qui existe, mais imaginez un peu le petit Lord qui, pour la première fois de sa vie était en panne d’inspiration devant une toile blanche, lorsqu’il avait voulu s’essayer au club d’arts plastiques en début d’année. Il avait regardé toutes les couleurs qui avaient été mises à sa disposition, mais aussi tous ceux qui, autour de lui, coloraient leur toile en un mélange des plus fameux. Hormis les quelques croquis auxquels il s’était livré lorsqu’il étudiait l’architecture ou les mathématiques, Johannes n’avait pas été formaté pour devenir un artiste peintre : la chose avait été prohibé au manoir de sa tante, qui considérait les artistes comme des bons à rien. Andersen, était resté sans inspiration devant sa toile blanche, parce qu’il n’arrivait pas à vouloir autre chose que la perfection, ce qui était difficile, lorsqu’on était inexpérimenté. Ainsi, il avait mit sa main de pianiste dans un peu de couleur jaune, avait mise l’autre dans du noir, et alors que les autres faisaient naître sur leur surface des choses merveilleuses, lui n’avait pu qu’écrire une partition. Frustrant à souhait, il n’avait plus remis les pieds dans ce club qui en plus de lui avoir montré l’une de ses failles, lui avait sali les mains. Terrible.

A peine avait-il eu le temps de noter le sourire radieux qui apparaissait sur les lèvres de Liliany, que déjà bondissant, elle venait le serrer dans ses bras, avec une force qu’il n’aurait pas crue possible d’une si frêle personne. Se crispant presque sous l’étreinte, il attendit patiemment qu’elle ait terminé, prenant soin de ne pas vouloir faire apparaître sur son visage une expression de déception. Était-ce de la fausseté que de faire son possible pour ne pas froisser la jeune femme, au lieu de la repousser directement? Il ne saurait le dire. Un hochement de tête confirma le rendez vous, et, Liliany quitta le réfectoire de son pas dansant.
Johannes, quand à lui, assembla minutieusement les petits plats dans les grands, et, remettant son manteau, glissant sa serviette sous son bras, il prit son plateau des deux mains, et quitta le réfectoire à son tour, ayant à nouveau en tête ses équations compliquées.